Déprime, coup de blues, dépression, mélancolie, cafard : nous utilisons tous ces termes, mais les connaissons-nous vraiment ? Les médias nous donnent à ce sujet des informations si contradictoires qu’à peu près tout le monde peut se demander s’il n’a pas dans ses proches une personne dépressive. Alors, comment faire la différence ? Il est plus que nécessaire de pouvoir faire la part des choses, afin de ne pas provoquer de catastrophes… Quels sont les vrais éléments qui pourront vous décider, ou non, à consulter.
La dépression est une des maladies psychologiques les plus répandues : on compte environ 15 % de dépressifs dans la population française, dont près d’un tiers n’est pas pris en charge médicalement (source : le Baromètre de Santé publique France 2022). Presque une personne sur dix, âgée de 18 à 75 ans, a connu un épisode dépressif au cours des douze derniers mois. Sur une vie, une femme sur cinq et un homme sur dix seront touchés, et il est important de souligner que si cette maladie atteint principalement les adultes, les enfants, et plus fréquemment les adolescents, sont aussi concernés. On estime aujourd’hui qu’environ 8% des jeunes âgés de 12 à 18 ans souffriraient d’une dépression.
Alors, comment savoir si nous ou un proche nous trouvons dans cette situation ? D’abord, tous les sentiments de peine ne relèvent pas forcément d’une dépression. Cette pathologie mentale se distingue de la simple tristesse par le fait que la personne concernée est incapable de se réjouir de quoi que ce soit et éprouve de grandes difficultés à prendre une décision. Ainsi, tôt le matin, par exemple, elle ne sait pas si elle doit se lever ou rester couchée. Et demeure parfois plusieurs heures au lit, toute éveillée, angoissée, incapable d’affronter la journée qui commence.
Dépression ≠ tristesse
On peut facilement imager la différence entre tristesse et dépression avec un exemple que l’on a vécu ou que l’on vivra un jour. Si lors d' un enterrement, nous sommes peu touchés par la perte de la personne défunte, on peut constater alors comment les proches parents s’effondrent autour du cercueil. Et pourtant, quelques heures après, lors du pot de fin de funérailles ou d’un repas de famille, on peut remarquer que ces mêmes proches racontent des anecdotes en riant ou en souriant tout du moins. Une telle attitude n’est pas envisageable pour un individu dépressif. Pour lui, ressentir du plaisir ou de la satisfaction est tout simplement impossible. Ses émotions positives sont comme « engourdies » - c'est ce qu’on appelle l’anhédonie (ou l’incapacité à ressentir du plaisir).
De même, on peut voir une différence flagrante entre une personne en deuil, qui malgré sa peine, pourra prendre des décisions ou tout du moins organiser ses pensées pour y réfléchir, lors de la succession ou de la gestion administrative du décès. Une personne dépressive est dans une totale incapacité à faire le tri de ses pensées, prendre des décisions ou s’organiser.
Enfin, dernière différence, on peut tout à fait distraire une personne en deuil, mais pas une personne dépressive. Il est donc inutile de reprocher à cette dernière son incapacité à se changer les idées, par exemple lors d’un magnifique voyage ou d’un concert. Cela ne ferait que renforcer chez lui un sentiment de culpabilité et d’impuissance.
Les 5 signes avant-coureurs de dépression
La dépression se manifeste différemment en fonction des gens et du contexte, malgré cette diversité, on peut regrouper ces signes en cinq catégories : l’altération de l’humeur, l’anxiété, les symptômes cognitifs, les idées suicidaires et les symptômes physiques.
Pour commencer, l’altération de l’humeur. C’est la fameuse tristesse pathologique, avec une perte de l’intérêt et du plaisir lié à une quelconque activité (l'anhédonie vue précédemment). Ces symptômes émotionnels se manifestent parfois par des crises de larmes et/ou de l’hyperémotivité, mais aussi, à l’inverse, par une abrasion émotionnelle (on ne ressent plus rien). Ils sont à l’origine d’une douleur morale intense.
Deuxième signe : l’anxiété. D’intensité variable, elle est quasiment constante et se manifeste par une peur et une tension presque permanentes, quelle que soit la situation de vie, même dans des conditions qui ne devraient pas susciter d’appréhension.
Troisième caractéristique : les symptômes cognitifs. Sentiment de culpabilité, d’auto-dévalorisation, troubles de la concentration et de l’aptitude à penser ou à prendre des décisions, ainsi qu’une tendance à être très vite fatigué et un ralentissement des pensées, se retrouvent chez les personnes souffrant de dépression.
En quatrième lieu, les pensées suicidaires regroupent les idées noires et pensées de mort : la personne imagine qu’elle se donne la mort, pense aux façons de s’y prendre, se représente les conséquences pour son entourage, pour elle-même… Et passe parfois à l’acte : 10 000 suicides ont lieu chaque année en France, pour plus de 100 000 tentatives. Or 30 à 70 % de ces suicides surviennent lors d’un épisode dépressif.
Enfin, derniers signes non moins importants de la dépression : les symptômes physiques ; là encore, à la fois nombreux et variables. Selon les cas, la personne concernée maigrit ou grossit en l’absence de régime particulier et dort souvent moins bien (insomnie) ou trop (hypersomnie). Elle présente aussi soit une agitation, soit un ralentissement psychomoteur, ainsi qu’une baisse de la libido, une fatigue intense ou une perte d’énergie inhabituelle, voire des douleurs erratiques (souvent dorsales), des céphalées…
Dépression = changement de perception
Un de mes formateurs disait souvent : « Si je te montre une taupinière au fond de ton jardin, tu vois une taupinière. Le patient dépressif, lui, va avoir l’impression qu’il s’agit du Mont Blanc ! » C’est une façon d’exprimer à quel point tout obstacle ou toute tâche semble insurmontable. Cette distorsion de la réalité n’est heureusement pas définitive : lorsque la crise est passée, que l’angoisse s’est apaisée et que l’humeur est revenue au beau fixe, il n’est pas rare que la personne prenne du recul sur son état antérieur et porte un regard critique sur la situation. Mais en attendant ce moment de délivrance, elle n’a pas toujours une vision adaptée d’elle-même, de ses capacités ni du monde environnant.
Le cercle vicieux des émotions et de l’état dépressif est caractéristique. Le reconnaître est essentiel pour prendre les bonnes mesures.
Tout devient usant
En définitive, la vie quotidienne et ses habituelles contraintes deviennent usantes, démoralisantes et épuisantes. Tout paraît insurmontable, d’autant que les symptômes s’auto-alimentent en général dans un cercle vicieux : le repli sur soi suscite une autodévalorisation et un sentiment de culpabilité diffuse (« je reste chez moi sans rien faire, je suis nul(le) »), qui produisent eux-mêmes des pensées tristes (« ça me déprime d’être nul(le) »), d’où de la déception et un sentiment d’impuissance (« je n’ai plus la force de me lever »), qui à leur tour fatiguent l’esprit et renforcent le repli sur soi…
Comment savoir si ces signes traduisent une vraie dépression ? Tout va dépendre de deux paramètres : un critère de temps, car les symptômes décrits ci-dessus doivent être présents pendant au moins deux semaines consécutives ; et un critère d’intensité, l’épisode s’accompagnant d’une souffrance marquée ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants (par exemple, on devient incapable d’aller travailler ou de s’occuper de ses enfants…).
Les conseils et les reproches sont inutiles...
Comment réagir si l’un de vos proches semble dépressif, en fonction de ces critères ? Pour l’entourage, il n’existe pas de « mots-clés », de « phrases types ». Le plus utile est de rester à sa place sans essayer (souvent de façon maladroite) d’endosser l’habit de psy, de coach ou de juge, même si ce n’est pas chose facile. Et un point important à retenir : la personne dépressive ne réagit pas, ne pense pas et ne se conduit pas de la même façon que vous. Comme le soulignent bon nombre de dépressifs à leur entourage, il ne sert donc à rien de les conseiller ou de leur faire des reproches.
Ainsi, l’expression qui revient le plus souvent dans ce type de discussion est : « Tu n’es pas dans ma tête ! » Et en effet, en tant que proche, on est constamment en train de penser : « Moi, à sa place, je ferais comme ceci ou comme cela. » Mais le problème est bien là : on n’est pas « à sa place », on est totalement incapable d’imaginer le degré de souffrance de la personne dépressive, ni les idées qui lui traversent l’esprit. D’où la nécessité de faire appel à un professionnel, un spécialiste, dont la mission est justement de mettre en évidence, d’évaluer, puis de traiter la dépression.
Il ne faut donc pas prendre ces symptômes à la légère et tenter d’accompagner la personne en souffrance afin qu’elle parvienne à consulter un psy. Par ailleurs, si c’est vous qui vous reconnaissez dans cette description, il est aussi préférable de voir un professionnel de la santé mentale, sans culpabiliser, dès que vous parvenez à vous motiver ou, du moins, d’en parler à un proche pour qu’il vous aide à y aller…
D'autant que la recherche médicale et les connaissances dans ce domaine avancent à grands pas : ce qui était valable il y a encore vingt ans ne l’est plus aujourd’hui, car les techniques évoluent, les thérapies sont plus adaptées, les traitements sont mieux tolérés et plus efficaces… Soulignons, pour finir, qu’une issue favorable est toujours possible, mais que, parfois, il faut avancer prudemment, lentement, en changeant éventuellement de thérapie, voire de psy en cours de route. La traversée du tunnel n’est pas aisée et, en général, la personne dépressive ne se rend pas compte des progrès effectués. Mais le jeu en vaut la chandelle : la dépression est aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, une maladie dont on guérit.
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